Mirobole Editions
Genre : fantastique
Infos : 2015 (1993) – V. O. : Druhé město – Trad. : Benoît Meunier – 220 p. – 19 € – ISBN : 979-10-92145-35-9
Dans une librairie de Prague, un homme trouve un livre écrit dans un alphabet inconnu et l’emporte chez lui ; bientôt l’ouvrage lui ouvre les portes d’un univers magique et dangereux. À mesure qu’il s’enfonce dans les méandres de cette autre ville, il découvre des cérémonies baroques, des coutumes étranges et des créatures fascinantes ; derrière la paisible Prague des touristes, des cafés se muent en jungles, des passages secrets s’ouvrent sous les pieds et des vagues viennent s’échouer sur les draps…
Livre hypnotique entre merveilleux et surréalisme, L’Autre Ville est une ode à la quête, et au courage nécessaire pour affronter les nouveaux mondes qui ne cessent de nous appeler.
MON AVIS :
Depuis que j'ai découvert L'histoire sans fin, roman et film, je rêve de tomber un jour par hasard sur un livre étrange qui m'ouvrira les portes d'un autre univers. Je suppose que c'est un fantasme commun à tous les lecteurs. Michal Ajvaz semble le partager car il nous invite ici à découvrir ce que deviendra la vie d'une personne ayant mis la main sur un tel ouvrage…
Alors qu'il flâne dans une librairie, le narrateur de cette histoire est attiré par un livre mauve coincée entre deux gros volumes dans un rayon. Il l'attrape et, en l'ouvrant, y découvre un étrange alphabet de lui inconnu. Il décide d'acheter cet ouvrage qui le fascine jusqu'à l'obsession. Alors qu'il essaie de le déchiffrer, des inconnus croiseront sa route et lui feront miroiter l'éventuelle existence d'une Autre Ville à laquelle peut mener ce livre. Mais la Prague qu'il habite est déjà hantée par d'impossibles êtres et lieux, que pourra-t-il donc trouver d'encore plus troublant dans cet ailleurs qu'il cherche à trouver ?
De toute évidence, Michal Ajvaz est le rejeton caché de Borges et Kafka. L'influence de ces deux auteurs pulse dans toutes ses phrases. Cependant, Ajvaz arrive à aller au-delà de cette filiation lourde à porter pour rejoindre surtout, d'une manière troublante, l'élégance et l'inquiétante étrangeté si familière des surréalistes. Ses mots suintent l'impossible, parfois fascinant, parfois angoissant. Et ses paysages nous amènent à nous demander dans quelle mesure nous ne découvrons pas nous-même, à travers ce livre à l'alphabet connu mais à l'imaginaire encore à déchiffrer et parfois impossible à suivre totalement, un autre monde aussi fascinant que celui que recherche le narrateur.
Car tout l'intérêt de L'autre ville ne réside pas dans la réussite de la quête de son personnage principal mais bien dans la description de son monde aux frontières floues et aux coins d'ombres angoissants. Parfois, l'inconnu affleure, les gens le concèdent mais ils cohabitent avec lui sans sourciller. Nous, lecteurs, nous sommes désarçonnés devant celui-ci et nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si le passage vers cet ailleurs n'a pas déjà eu lieu sans que nous nous en rendions compte…
Tout cela constitue une excellente raison de plonger dans l'univers délicieusement étrange d'un Michel Ajvaz qui s'amuse à nous conter une Prague dans laquelle des forêts tropicales naissent de livres, des pingouins restent par théorème dans les espaces géométriques euclidiens et des déclinaisons servaient à invoquer des démons avant de perdre leur pouvoir et de se fondre dans les mots. Et si tout cela n'a pas de sens, tant mieux, car le charme de cette Autre ville réside dans la beauté glaçante des images qu'elles fait exploser dans notre esprit.
Pour conclure, comme le dit un couple d'amoureux dans ce roman, « Nous ne sommes pas bêtes au point d'avoir besoin de la réalité… »